Millenium : le Tome 4, ce qui ne me tue pas

10 oct. 2015



Parce qu’il fallait que je sache.
Parce que je brûlais de retrouver Lisbeth Salander.
Parce que dans cette guerre idéologique, au cœur de ce séisme inédit dans la sphère éditoriale soulevé par le cas Millenium, il a fallu choisir son camp.
Moi j’ai validé l’imposture littéraire consentie.
Et honnêtement, pas une seule seconde je regrette mon choix. Ce tome 4, c’est clairement une réussite pour le moins triomphale.


Les thèmes :
le féminisme ◆ la vengeance ◆ le polar 
 ◆ l'autisme ◆ le journalisme ◆ la maltraitance
◆ l'espionnage ◆ le hacking ◆ l'intelligence artificielle 


On l’avait adorée en train de latter la gueule à son violeur. On s’était creusé les méninges avec elle sur l’affaire Harriet Wanger. On l’avait admirée résoudre des énigmes mieux que la Sapö. On avait frémi quand elle s’était mis en tête de régler son compte à Zalachenko. On avait craint pour sa vie quand Blomkvist essayait de la sortir de ses démêlés avec la justice. On était tous suspendus aux gestes et aux mots de Lisbeth Salander. Et la voilà de retour. Putain, c’est bon ça.

Le pitch ◆ La rage ne l’a pas quittée. En marge de tout, retirée dans son coin, elle veille au grain sur le net. Parce que « Celui qui surveille le peuple finit à son tour par être surveillé par le peuple. »

Il n’est plus que l’ombre de lui-même, collectionne les absences dans un monde où la presse est en déclin, et la concurrence rude.
Des années sont passées, ils ne se sont pas parlés.

Mais leurs chemins vont se recroiser autour de l’histoire d’Hans Balder, éminent scientifique chercheur dans le domaine de l’Intelligence Artificielle, au cœur d’une rixe de jeux de pouvoir où serait même mêlé la NSA . Contre espionnage, réseaux criminels, hacking de haute voltige, surveillance électro-magnétique… Et si la clé cette fois-ci se trouvait du côté de l’autisme, dans les liens du sang ?



 Le cas Millenium


Si jusqu’ici tu as échappé à l’engouement Millenium, réjouis-toi. C’est un tout nouveau tout beau phénomène qu’il t’ait donné à découvrir. C’est un peu comme quand on redécouvre un billet de 20€ dans sa poche. On n’avait pas fait mieux depuis Harry Potter. Si, si, je te jure !

Figure vitrine des éditions Actes Sud, Millenium c’est la trilogie qui vient du froid et qui a su mettre à l’honneur le polar suédois dans notre beau pays comme dans le monde entier.

Aux commandes de tout ça, un petit suédois binoclard, communiste et trotskiste, qui a rencontré sa femme dans une manif contre la guerre du Vietnam et qui s’est forgé un avenir de journaliste, en créant la revue Expo, structure observatoire de la montée du racisme en Suède et des moyens mis en œuvre pour en contrer les dérives.

A ces heures perdues, l’homme s’essaye à l’écriture d’un roman, qui devient vite une trilogie. Il faut dire que le sujet est dense et qu’il la verrait bien s’étaler en 10 tomes, sa petite histoire. Il commence à démarcher les éditeurs. Et bim. Il meurt. Crise cardiaque. Genre, trop pas de chance.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Mais non. Il se trouve que sa petite histoire écrite dans l’ombre est de qualité. Et qu’un éditeur, Norstedts Editions, accepte de la publier. Et que ça devient juste un putain de succès littéraire en Suède. Et que le succès dépasse les frontières de la Scandinavie, s’empare d’abord de la France, chez qui les romans rencontrent un succès inouï, puis s’étend outre atlantique. Moins de quatre ans plus tard, les ventes dépassent les 80 millions d’exemplaires, les adaptations télé-BD-ciné se multiplient et même la pointure du cinema David Fincher s’empare de l’histoire dans l’idée de la porter à l’écran de manière particulièrement réussie soulignons le.

Désormais le nom du petit suédois, Steig Larsson est sur toutes les lèvres alors qu’il n’aura même pas eu l’occasion de tenir son propre livre entre ses mains. Et tout le monde est un peu beaucoup gâché de savoir que l’aventure Millenium s’achève ici. Faut dire que c’était tellement prenant de suivre les aventures de Blomkvist et de Salander qu’on aurait volontiers continué pendant bien d’autres tomes.

C’est alors qu’une petite voix fluette s’élève en Suède. Coucou, je suis Eva, la femme de Steig Larsson, et même si, c’est vrai, on était pas mariés, on a quand même vécu 32 ans ensemble et en fait euh, ben j’ai toutes les notes de Steig dans un carnet et un Tome 4 inachevé dans mon ordinateur, mais je préfère mourir plutôt que de le remettre aux mains des éditeurs, sauf s’ils me permettent de le terminer moi parce qu’en fait moi aussi je suis écrivain.

Han bataille juridique ! Nous on est le papa et le frère de Steig Larsson et en fait c’est nous les héritiers,  et on est pas d’accord, hors de question que ce soit toi qui aie les droits sur Millenium, Eva, parce qu’on t’aime pas.

Ah ouais c’est comme ça ? Ben y aura pas de Millenium 4 alors parce que moi je vais cacher tout ça et vous retrouverez jamais les notes de Steig mouahahaha, sujet clos.

Du coup le lectorat doit bien se faire à l’idée. Malgré les publications croustillantes d’Eva qui aime à attiser le chaland en laissant fuiter deux trois petits indices sur le contenu de l’éventuel Tome 4, c’est un peu dead pour la suite de Millenium.

Et puis un jour on apprend que Norstedts Editions mendatent un mec pour écrire la suite de Millenium.

Oh my god. Emoi dans mon bas ventre dans les chaumières. Polémique. De l’encre qui coule. Et le roman dans les bacs, tentateur. 
Que faire ?


Un phoenix nommé Salander


Pour ma part la question ne s’est même pas posée. C’était sur, que j’allais me ranger du côté des lecteurs de ce sulfureux tome 4.
Rien que pour le plaisir de voir imprimé sur une page le mot Salander.

Parce que Lisbeth Salander, à mes yeux, n’est que - rien que ça - le personnage le plus charismatique du 21ème siècle.

Fascinante.
Percutante.
Singulière.
Rare.

Exceptionnelle.

Je me sens inspirée, impressionnée, hypnotisée, à chacune de ses apparitions. La moindre de ses actions provoque chez moi de longues minutes de réflexions et j’ai souvent le cœur qui palpite à la simple évocation de son nom.

S’il est une femme que j’aurais un jour aimé incarner, après Simone Veil, ce serait Lisbeth Salander.

J’aime tout chez Salander.

Le feu qui l’anime.
Son audace.
Son physique androgyne.
Sa force mentale.
Son sens très personnel de l’éthique morale.
La maestria dans sa manière d’aborder le rapport de force.
Ses mauvaises manières.
Son énergie, lorsqu’elle décide de se lancer dans une affaire.
Ses démons, qui ne la laisseront jamais s’en affranchir.
Sa pudeur. Dans les sentiments, dans les marques d’affection. Dans les liens de ceux qui retiennent son attention.
Et surtout. Surtout. Ce qu’elle fait de sa haine.


 David Lagercrantz, le mec attendu au tournant


Dans le genre homme à qui tout le monde voulait faire la peau, en acceptant d’incarner le prolongement de Steig Larsson, David Lagercrantz a su se placer au sommet de l’échelle.
Insulté, hué, menacé dans son pays d’origine où le tollé qu’il a déclenché se rapproche du vocabulaire de la profonation, David Lagercrantz après avoir vécu plusieurs mois d’autarcie mystique pour les besoins de l’écriture, se retrouve sous les feux des projecteurs à l’international, prêt à se faire manger tout cru.

Il faut dire que l’homme diffère à 100% de Steig Larsson, binoclard peu séduisant issu d’un milieu modeste.  DL, gentleman issu de la bourgeoisie, avec son joli port de tête et ses yeux cobalt, fils de l’éditeur vedette du Le Monde suedois, ne partait pas vraiment gagnant dans le jeu du « j’incarne la prolongation de Steig Larsson parce que lui et moi on se ressemble ».

On ne peut donc reconnaître à David Lagercrantz que du courage pour avoir osé braver le triple tribunal qui l’attendait de pied ferme, tomates à la main : celui du clan Larsson, celui de toute l’intelligentia littéraire suédoise et outre-mer, et celui des hordes de fans de Millenium prêts à le passer à tabac à la moindre erreur stylistique.

Et pourtant, il suffira de lire quelques pages pour comprendre que David Lagercrantz, qui ne s’est pas démonté le moins du monde devant l’ampleur de sa tâche titanesque, a su relever le défi avec brio. En fait, c’est lui qui nous attend au tournant, maintenant.
Parce qu’il est vraiment réussi, ce tome 4, David.


Tome 4 : Ce qui ne me tue pas


Le tome 4 s’ouvre avec la découverte de nouveaux personnages dont on entrevoit les enjeux dès le premier chapitre. J’ai aimé la configuration difficile que forment leur équilibre de vie.

J’ai aimé m’enfoncer dans l’histoire de plus en plus sombre de l’enfance de Lisbeth Salander. Tout part de là. Comme si ce n’était pas déjà assez horrifique, son passé, voilà un nouveau pan qui s’ajoute au tableau de toutes ces atrocités. Un soufflet qui alimente ce feu dans la cheminée, ce feu vengeur qui se consume, qui hurle les tourments de sa haine. Tellement parfait.

J’ai aimé à l’ajout du mystère politique, le mystère humain en le personnage d’August Badler, enfant autiste, à mi-chemin entre le demeuré et le génie.

J’ai aimé me sentir inférieure.
Dans ce dédale d’organisations gouvernementales dont le grand public ne possède pas les clés et doit s’accrocher pour comprendre les intérêts transversaux.

J’ai aimé tous ces noms qui viennent du froid, toutes ses sonorités nordiques, tout ce charme baltique résonner dans mes oreilles au fil des lignes.

J’ai aimé la pudeur dans les retrouvailles entre Lisbeth et Blomkvist. Improbable duo qui marche droit, entre respect, amitié, attirance et sensualité, dont on ne saurait que trépigner d’impatience pour savoir quel tournant prendra la relation.

J’ai aimé frissonner. En le personnage de Camilla Zalachenko, la sirène maléfique.
J’ai aimé la façon dont David Lagercrantz a su s’en emparer. Mortelle, comme Lisbeth. Peut-être même pire. S’en est terrifiant.

Terrifiant aussi, cette mort innocente ajoutée au roman, pas très larsonienne. Juste pour le plaisir de s’ancrer dans le monde réel, tel qu’il tourne en 2015, émancipé des tendances candides qu’ont pu cultiver les façons de penser des décennies précédentes.

J’ai refermé la dernière page de l’intrigue avec le regret de ne pas en avoir 300 de plus à avaler. Et le vague à l’âme à la simple pensée qu’il faudra attendre encore quelques années avant de pouvoir se remettre un Millenium sous la dent, si Norstedts Editions s’applique à jouer de nouveau le jeu de l’hérésie.



Bref le roman tient ses promesses. David Lagercrantz signe carrément une prouesse et se montre indubitablement le digne successeur de Steig Larsson. Il n’y a plus qu’à espérer, comme le laisse penser l’intrigue, que Lagercrantz reprendra durablement le flambeau de Millenium pour aller butter sa gueule à Camilla Zalachenko.

A lire absolument, pour tous les fans de Millenium et ceux qui auraient l'envie de saisir le pourquoi du comment d'un phénomène littéraire.


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