La femme au tableau

24 juil. 2015




Dans le genre récit ascenseur émotionnel, il est nécessaire de se laisser séduire par La femme au tableau.
Sauf que pour ma part, j’ai du prendre des cachets pour dormir tellement le film m’avait raclé profondément les tripes révolté dans sa dernière seconde.

La femme au tableau, c’est avant tout une histoire vraie.  Celle d’une vieille femme, Maria Altmann, héritière d’une famille bourgeoise propriétaire d'un des plus fameux tableaux de Klimt, confisqué par les nazis cinquante ans plus tôt. A l’aube de ses vieux jours, réfugiée dans sa banlieue cossue de Los Angeles, elle décide d’employer un avocat et de tout mettre en œuvre pour récupérer le portrait d’Adèle Boch Bauer, quitte à remuer toute les souffrances du passé et à s’en prendre à l’Etat autrichien.


 " Quand vous voyez ce tableau, vous y voyez un chef d'oeuvre peint par un des plus grands artistes autrichiens. Moi, j'y vois un portrait de ma tante. "

Moi, j’ai adoré.

L’élégance esthétique qui jalonne le film. Le soin porté aux décors, aux costumes. Le magnifique grand appartement viennois et son ambiance tourbillonnante.

Les multiples flashbacks des années 30.

Le train de vie en grande pompe de la famille ashkénaze.

La diversité chez les juifs dans la façon d’appréhender ce qui allait leur tomber dessus, entre ceux qui pensaient que l’Autriche ne laisserait jamais les nazis leur faire du mal et ceux qui avaient déjà senti le vent tourner et s’étaient enfuis avant leur arrivée.

La montée du nazisme vécue de l’intérieur. Le réalisateur rythme parfaitement sa progression au sein de la vie de ses personnages.

J’ai eu la sensation pour la première fois de prendre vraiment la mesure de l’horrible histoire de l’holocauste. Peut-être parce que ce coup-ci il s’agissait d’œuvres d’art, et d’une jeune fille de mon âge.

Le réalisateur se sert de la fuite éperdue de Maria et Fritz pour peindre un tableau de l’occupation autrichienne nazie. Les civils, dans les rues. Les pro-nazis, les anti-nazis. Il y a ceux qui les aident, et ceux qui les dénoncent. A parts égales. 

J’ai aimé cette subtilité, toute en nuances. Comment juger d’une seule voix de tout un peuple, regroupés sous un seul nom pour des actes si différents ?  

Le grand appartement viennois de l'enfance de Maria, c'était celui où sa tante Adèle tenait ses salons mondains. S'y croisaient Klimt, Kokoshka, Schtrauss, Freud. Bref, toute la nouvelle vague de la Sessession Viennoise. 

A son mariage, la moitié de Vienne était présente. Un an plus tard, elle essuie les coups de feu, forcée de s'échapper pour vivre.

Alors, on comprend. On peut comprendre que Maria puisse leur en vouloir. A son pays, pour l’avoir chassée. A son pays, pour ne jamais l’avoir rappelée. Reviens, c’est fini. La guerre est finie. Reprends ce qui t’appartient. Non, jamais. Toute sa fortune, tous ses souvenirs, laissés sur place, relégués aux temps heureux du passé. 

J’ai aimé.

La récurrence du langage allemand, utilisé à toutes les sauces dès que possible.

Le couple détonnant Helen Mirren/ Ryan Reynolds. L’un, lointain, effacé, peu sûr de lui, mu par des motivations incertaines et l’autre, casse couille notoire qui veut mener son monde depuis la hauteur de ses certitudes bordées de Strudels.

Le personnage d’Helen Mirren (prestation éblouissante pour l’actrice anglaise) âgé, oscille entre vieille dame meurtrie et monstre de caprices (un peu comme ma grand-tante Yeranouhie).
On la comprend, on compatit tout autant qu’elle nous tape sur le système. La vieille femme qu’elle est devenue, aigrie, contradictoire, avec ses sautes d’humeurs absurdes peut rapidement devenir soulante.
Et ça, c’est pénible. Quand le personnage principal ne fédère pas autour de lui. Je l’ai trouvée trouble dans ses motivations.

Tout autant que l’avocat, gentil jeune papa fade, insipide et timoré, qui, lui aussi issu d’une grande lignée (petit fils de Schtrauss !) n’arrive pas vraiment à lui faire honneur. Inutile de mentionner Katie Holmes, empêtrée dans un rôle de pot de fleur décoratif.

Mais les personnages ashkénazes sont juste complètement parfaits. Du père (aux faux airs orientaux de mon grand père arménien) avec son violoncelle, au mari (Max Iron en chanteur d'opéra, graouh), en passant par la très convaincante Tatiana Maslany, sans oublier l'énigmatique Tante Adèle.
La symphonie prend merveilleusement bien.

J’ai aimé le cas de conscience fait en le personnage du journaliste (Daniel Brühl, le plus germanique des hollywoodiens), qui, ayant découvert que son père était nazi, cherche à tous prix à réparer les torts de sa lignée.

J’ai tremblé.
J’ai tremblé pour la scène de la pharmacie. De tout mon corps. Tellement terrifiant.

J’ai pleuré.
J’ai pleuré pour la déchirure. Déchirure familiale, déchirure sociale, déchirure identitaire.
 J’ai pleuré toutes les larmes de mon corps. Je me suis rappelée qu’une histoire similaire avait du arriver à mes arrières grands-parents. Je me suis rappelée que moi aussi j’étais enfant d’immigrés, issue à des lointains degrés d’un peuple ayant souffert lui aussi.

J’ai réfléchi.
Toute la nuit. Sur le sens de la famille. Sur le drame de la migration forcée. Et surtout, sur le sens de l’art. Sa place dans l’histoire. Le mutisme de son véritable propriétaire, l’artiste.   

Attention, si comme moi toi aussi tu vénères Klimt, sache que, moins qu’un support, il n’est absolument pas le sujet de ce film. Le vrai sujet du long-métrage, c’est la spoliation des biens par le régime nazi.

Tremblé, pleuré, réfléchi.
Un bon film, donc.

Et bien pourtant, non, pas tant que ça.

La dernière seconde du film m’a tout bonnement ulcérée, et violemment.




SPOILERS & DEBAT.
Le dénouement.




J’ai pleuré, tellement pleuré pour les deux scènes finales.
L’adieu à ses parents. Qui vont mourir, elle le sait. Les derniers mots qu’ils lui disent. De ne pas les oublier, eux. De ne pas oublier son identité à elle. De ne pas oublier l’Autriche, où ils ont su bâtir leur fortune. J’ai dégouliné de pleurs, le souffle court.

Et puis, la scène finale. C’était beau, cette transposition. Maria, désormais vieille, se mêle aux fantômes de son passé, revit ses bonheurs dans le grand appartement viennois.

Puis vient la dernière seconde. Celle où l’on nous explique ce qu’elle a fait du tableau, que la jurisprudence lui a permis de récupérer, pour en disposer selon ses vœux.

J’ai cru, pendant tout le film, qu’elle le laisserait au Belvédère de Vienne. Que Maria Altmann était une grande femme pleine de mansuétude. Qu’elle saurait se réconcilier avec le passé, qu’elle ne déroberait pas l’Etat autrichien de sa Mona Lisa. Qu’elle avait compris qu’issue d’une riche famille rentière, ses possessions n’avaient pas la même résonance que n’importe qui. Qu’a grand pouvoir, grande responsabilité.

Mais non. Au final, Maria Altmann n’était qu’une femme particulièrement pingre.
Mode J’y peux rien si ma famille était mécène. Ben oui, c’est pas ma faute si j’ai permis plus ou moins à toute la Sécession Viennoise de se retrouver et de créer chez moi. Rendez-moi mon argent.
Ça c’est bien un raisonnement à la con. Monétisation de l’art et du spirituel. Capitalisme outrageux. A gerber. Ta famille a permis quelque chose de bien pour l’humanité. Et tu n’es pas capable d’en faire autant.

Le problème n’est pas qu’elle récupère son bien qui lui revenait de droit. Ce bien est certes le sien en terme de valeur, mais appartient à l’Art, et se doit de pouvoir se maintenir aux yeux de ceux qui savent le décrypter.
C’est pas comme si tu voulais récupérer ton chandelier. Un tableau, une peinture, c'est une dimension toute autre.

Qu’elle attaque en justice les banques, qui se sont servies sur la riche somme que possédait son fortuné oncle, qu’elle mette tout en œuvre pour récupérer le collier de sa tante Adèle, et même l’hôtel particulier de Ferdinand, qui lui reviendrait de droit, ça oui.
Mais pas le tableau. Pas comme ça.

A mes yeux, le vrai propriétaire du tableau d’Adèle Bloch Bauer, c’est Gustave Klimt. Et la vraie question ce serait plutôt, qu'aurait voulu Gustave Klimt ? Je te le donne en mille : pérenniser son art, et laisser l'Etat Autrichien lui rendre le plus beau des honneurs : en faire un joyau culturel et identitaire de la nation.  

Je ne comprends pas. Que l’Europe entière ne se soit pas opposée au départ de ce tableau de son territoire. Je ne comprends pas qu’une fois de plus ce sont les USA récoltent qui portent fièrement en étendard autour de leur cou les trésors de notre histoire.
Comment les USA peuvent avoir autorité sur un Etat. Comment personne n’a pu faire en sortes de rester souverain dans son droit le plus fondamental.

Ne me servez pas l’argument de la justice. On le lui a rendu, son tableau. Il était de nouveau sien. Elle n’avait pas besoin de le poser sur la cheminée de son appartement vide durant les trois ans qu’il lui restait à vivre. Elle aurait pu réclamer une somme versée pour son prêt, une part du billet d’entrée, et la totalité de la somme des ventes de tous les produits dérivés à l’effigie du portrait de sa tante Adèle. Mais non, elle a préféré le ramener aux USA tout ça pour qu’il finisse dans une vente aux enchères ouais, ouais tu as voulu le récupérer par soucis de justice et soit exposé dans une minuscule galerie de New York.

Par ce geste, selon moi, Maria Altman a fait preuve d’un manque d’élégance affligeant, faisant du tort à sa famille, à la communauté juive, à sa nation d’origine et plus grave encore à l’art en général.

A mes yeux, Maria Altman a bridé Gustave Klimt. Et ça, c’est impardonnable.

Et donc, à cette seconde même, tout change.
Le personnage de Maria Altmann qu’on nous avait présenté comme élégant, raffiné, blessé, fier, change du tout au tout.

La réalité rattrape la poésie de la fiction, la beauté du sentiment et les idées reçues, clichés sur les ethnies s’avèrent finalement vraies dans ce film.

Maria Altmann n’était au fond qu’une femme avare, calculatrice, caractérielle et teigneuse et à mes yeux, au vu de ce qu’elle en a fait, elle aurait mérité une restitution posthume de ses biens.

Je me suis couchée avec un ulcère.
On passe un bon moment, pour les belles images, pour les émotions et pour la réflexion que le film occasionne. Le thème de la migration forcée invite à se pencher plus sérieusement sur son actualité très médiatique en 2015. 

Mais la chute dans mon cas s’est avérée violente. En même temps, je me suis sentie directement et profondément concernée, sur le devenir de l’art en général, et sur le poids de ses appartenances, d’autant plus que putain je projetais un voyage à Vienne pour aller voir de mes yeux les plus beaux Klimt, mon peintre préféré.

Bref. Une de mes plus grosses déceptions sur le genre humain historiques, mais pas filmographiques.

En apprendre un peu plus sur cette incroyable histoire, et sur la gestion du passé nazi par l'Autriche : ici 

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