La vérité sur l'affaire Harry Quebert ◆ Joël Dicker

25 juil. 2015



Parce qu’il est resté en tête de gondole dans les FNAC librairies de grandes distribution plusieurs années consécutives, La vérité sur l’affaire Harry Québert, lauréat du Prix Goncourt des lycées, du Prix littéraire de la Vocation sans parler du Grand Prix de l’Académie Française, s’affuble de la très flatteuse critique de Bernard PIVOT en quatrième de couverture.
Bon avec tout ça, franchement. On est forcément tentés de le lire.
Et à priori, on ne regrettera pas les heures passées à dévorer ses 850 pages.




Le picth  Marcus Goldman, jeune écrivain placé sur piédestal depuis l’immense succès de son premier roman, désormais riche et célèbre, patauge dans la boue et ne parvient pas à passer le difficile cap de l’écriture de son second livre. Pour se libérer de la maladie des écrivains –angoisse de la page blanche-, il fait appel à Harry Quebert, son ancien professeur de littérature, écrivain renommé, avec qui des liens d’amitiés durables se sont noués. Seulement voilà. A peine parti de son stage de coaching intensif dans la propriété de son mentor, retiré dans une petite ville du New Hampshire, la nouvelle tombe comme un couperet : Harry Quebert est arrêté pour meurtre, le cadavre de Nola Kellergan, jeune fille de 15 ans, ayant été découvert dans son jardin. La même Nola Kellergan, rayon de soleil local, adorée de tous, disparue 33 ans plus tôt, sans jamais avoir laissé de trace. Harry Quebert risque la chaise électrique. Et pourtant, des incohérences se profilent dans le dossier de son incrimination.
Qui pourra faire la lumière, lever le voile sur la vérité dans l’affaire Harry Quebert ? 




Les thèmes : 
l’amour tragique ◆ l’interdit ◆ le crime ◆ l’imposture  
◆ le milieu éditorial ◆ la vocation d’écriture ◆ les Etats-Unis  
◆ les apparences ◆ la mystification

Joël Dicker

Ecrivain français d’origine suisse d’à peine 30 ans, 27 à l’écriture de ce livre. Maman libraire, papa prof de littérature, arrière-papi homme politique.
Petit diplôme de droit, sans doute de bonnes notions de marketing. Plutôt beau garçon, habile dans l’art de se vendre, les filles lui laissent des soutien-gorges sur ses tables de dédicace. Ahem. Are you american ?


Un frenchie qui parle si bien de l’Amérique

Au vu de la couverture du roman, du nom de l’auteur, du style d’écriture, j’étais sure que le roman, était 100% made in America quelque peu dans la lignée du très creux, très cliché Demain est un autre jour de Lori Nelson Spielman et que la pauvreté littéraire des mots, c’était du à la mauvaise qualité de la traduction. Mais non. Non, non. L’auteur est bel et bien francophone. Un petit suisse qui nous brosse un portrait des US tellement accurate qu’il nous bluffe, au jeu des apparences et des impostures. Tout comme les personnages de ce roman.

Crédibilité des personnages

D’ailleurs, au niveau des personnages, on est plutôt bien.

On s’attache assez rapidement aux travers de Marcus Goldman, sans doute une sorte de miroir de la personnalité de Joël Dicker. J’ai particulièrement aimé ses questionnements, sa façon de tâtonner les choses de la vie pour les découvrir, son incroyable émancipation de l’horripilant Le Formidable, passage que j’ai trouvé particulièrement réussi d’ailleurs.

Il est difficile de ne pas tenir en respect le personnage d’Harry Quebert. Plein de bon sens, de sagesse, touchant, énigmatique, ses conseils sur l’écriture sont particulièrement pertinents et avouons qu’il est un peu le genre de professeur qu’on aurait tous rêvé d’avoir. Je dirais même N#2 au palmarès, derrière John Keating (Le cercle des poètes disparus).

On s’attacherait même à des personnages secondaires.
Gahalowood, le sergent bougon qui rechigne à apprécier Goldman en public.
Robert Quinn, l’homme gentil, balourd et malheureux.
Barnaski et Roth, éditeur et avocat, deux ordures ménagères à scandale.

Mais les personnages féminins sont plutôt ratés.

Jenny Quinn, la soumise. Triste toute sa vie. L’a ratée en allant à l’opposé de ses envies initiales, par lâcheté plus que par amour pour Harry qui la rejette inlassablement. 
Tamara Quinn, l’invivable. Manipulatrice, castratrice, ambitieuse, autoritaire. Ses passe-temps préférés ? Se faire mousser, humilier les autres et courir pleurer chez le psy « pourquoi je suis si méchante » ? Crédibilité zéro pour le fond du personnage.
La mère Goldman, à tuer à coups de pelles. Outrageusement emmerdante.

Mais surtout…

Nola Kellergan 

Ange ? Manipulatrice ? Niaise ? Courageuse ?
On nous la dit très spéciale, fascinante, extraordinaire. On ne nous le prouve pas.
Tout le monde veut la déshabiller. Parce qu’elle est jolie, parce qu’elle est blonde. Mais il suffit qu’elle ouvre la bouche pour vous en faire passer l’envie. Nola Kellergan, l’affligeante.
Ses seules ambitions ? Faire la cuisine et le ménage pour Harry Quebert, danser sous la pluie et nourrir les mouettes. Ahem.

Moi je l’ai trouvée sans substance.
Tout ce tapage autour de Nola, N-O-L-A, N-O-L-A, ça en devient ridicule.
Petite Cosette, petite Agnès Dempster (Folie d’une femme séduite de Susan Fromberg Schaeffer). Les 850 pages du roman nous brossent un portrait tour à tour oie blanche, puis petite dévergondée (comme si on ne pouvait être que d’un bord ou d’un autre) pour au final camper la vision étriquée et quelque peu sexiste d’une gamine de 15 ans, personnage qui aurait largement eu le mérite d’être bien plus profond, de par la singularité des choix qu’elle a fait durant sa courte vie.  
Naïve, mièvre, perdue, idiote, déterminée, pénible.
Non, décidément. La sauce ne prend pas.

Mièvreries pour amour

 La merveilleuse histoire d’amour, au centre du roman, parlons-en. Ô mon amour je vous aime parce que vous êtes un graaaaand écrivain, vivons notre vie ensemble, Harry chéri. C’était tellement mièvre. Tellement gratuit, en quelques sortes. L’amour au premier regard, même si tu as le double de mon âge, les tremblements, les auto-flagellations, les soupirs exacerbés pour rien. Ça transpire l’artificiel, Joël. Au fond, tu ne maitrises pas l’écriture des histoires d’amour. Manquerais-tu de vécu ? La femme serait-elle encore un épais mystère pour toi ?

Le règne des apparences

Du petit village d’Aurora, au NYC moderne, ce serait un peu partout le jeu des apparences, dans ce roman. Entre ceux qui oeuvrent et intriguent pour leurs petits intérêts personnels, difficile de se faire une opinion, 30 ans après les faits, sur le bien fondé, les bonnes mœurs, les bonnes intensions des personnages. Qui est honnête, en fin de compte ?

Façon Desperate Housewives, un peu. Il se cache tant de choses sous le vernis lisse de la perfection. Prête à tout pour sauver les apparences, cette Amérique qui joue les rapports de force, qui se menace, qui se dénonce. C’est quand même un minimum gerbant, cet état d’esprit. 

De l’importance de l’imposture

Au cœur de ce roman, le sujet central : l’imposture, dans la lignée des apparences.
C’est bien simple : tout le monde ment, tout le monde triche. Les secrets sont lourds, pesants. La moralité est ailleurs. Le rapport à la réalité, biaisé. Une double lecture des éléments, des personnages est nécessaire.
Ce qui permet des appels d’air, donne encore plus d’élan au récit, bâti comme un thriller.

De rebondissements en rebondissements

Joël Dicker maitrise à la perfection la construction d’un récit. L’écrivain structure habilement ses chapitres, et le lecteur ne se perd pas un seul instant dans le labyrinthe du temps qu’il nous fait franchir, à coup de flash-back au sein de deux histoires parallèles.
Du point de vue du suspens, j’ai adoré. Les évènements s’enchainent avec brio, le rythme est soutenu, aucun temps mort, quand y a plus lieu d’avoir des surprises, y en a encore.  Coups de théâtre, ascenseurs émotionnels, fausses pistes. Jusqu’au dernier moment, tu ne devineras certainement pas qui est l’assassin. Et en ça, on ne peut que saluer le talent de Joël Dicker.

Le livre dans le livre

 L’aspect qui m’a sans doute le plus plu. Au travers de l’intrigue policière, l’auteur décortique également les étapes de création d’un bon roman, du processus d’écriture au processus de vente. Des méandres de sa conception ( les 31 règles d’écriture d’Harry Quebert distillées à son élève, très intelligentes, beaucoup de sens, qu’utilise ingénieusement l’auteur pour chapitrer son roman) jusqu’aux réalités de sa publication, au cœur de la gerbante machine éditoriale américaine. Les difficultés rencontrées par l’auteur, solitaire devant sa page blanche, en état constant de doute, les difficultés à se faire entendre par les médias, qui excellent dans l’art de déformer intensions comme propos.

Bien qu’il ne s’agisse que globalement d’un point de vue très américain, (la littérature vue comme un produit marketing, financier), le lecteur est confronté en première ligne à ce qui lui paraît forcément facile, lui qui n’a pour tâche que l’ouverture de la première page, et le privilège du jugement lapidaire ou élogieux selon son bon vouloir du roman qu’il vient de mettre quelques heures à lire. Et ça, c’est quelque chose qu’on ne trouve pas souvent dans les livres.

Alors bravo, Dicker. En ça tu as fait preuve de talent.


Mais le Grand Prix de l’Académie Française, on en parle ? 

Non parce que moi j’avais cru qu’on décernait ce prix aux grands écrivains, aux génies littéraires, aux Merlins l’enchanteurs des mots. Mais non. La vérité sur l’Affaire Quebert, s’il témoigne d’une bonne maitrise des schémas narratifs et des lois du bon thriller, indubitablement, c’est pourri pas très qualitatif du point de vue du style d’écriture pour rafler le plus prestigieux prix littéraire français !
Alors il s’est passé quoi Joël Dicker ? Pots de vin ? Séances d’hypnoses ? Morts dans la concurrence ? Papa est un ami du jury ? Mystère.


Alors voilà, sache qu’a l’ouverture de ce livre, oui tu seras pris dans l’engrenage. Oui, tu ne pourras plus t’arrêter. Oui, tu repousseras le moment du coucher, oui tu ne pourras plus le lâcher. Oui tu voudras savoir La vérité sur l’affaire Harry Quebert. Et en ça, Joël Dicker ne peut qu’être félicité.

Mais quelques exaspérations sont au rendez-vous au cours de ces 850 pages. Notamment le vide dans la personnalité de son héroïne principale, Nola Kellergaman, dont aurait presque envie de pardonner le meurtre à son assassin (ce en quoi je rejoins totalement l’avis de Bernard Pivot).

Mais La vérité sur l’affaire Harry Quebert reste un livre prenant, surprenant, structuré, intelligent, écrit par un jeune auteur qui plus est, ce qui constitue un pied de nez au milieu parfois très oldschool et corseté de la littérature.

Moi, je recommande.  
Livre avalable en deux nuits.




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